Préavis : à la recherche du délai raisonnable

15,Juil,19

ou Plafonnement du préavis applicable à la rupture brutale des relations commerciales établies (Ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 : nouvel article L 442-1 du code de commerce)

La loi Galland du 1er juillet 1996 a introduit en droit français la notion de rupture brutale des relations commerciales établies. Un important contentieux s’en est suivi qui a mené à une certaine rigidification du droit commercial en la matière, puisqu’était imposé le respect d’un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale établie entre les partenaires.

Ainsi, une relation commerciale construite dans le temps ne peut être rompue brutalement, même partiellement, sans que ne soit accordé au partenaire à qui elle est imposée un préavis tenant compte de la durée de la relation et ce, quoi que prévoient les stipulations contractuelles.

Ce qui est sanctionné n’est pas la rupture de la relation commerciale en elle-même, mais bien la brutalité de cette rupture, comme l’a rappelé la Cour d’appel de Paris, le 23 mars 2017 (aff. n°15-19.284).

L’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 vient remodeler le titre IV du livre IV du code de commerce, relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées. Elle emporte une véritable simplification des dispositions de l’ancien article L. 442-6, 5° désormais remplacé par un nouvel article L. 442-1[1].

Un élargissement du champ d’application de la rupture brutale des relations contractuelles établies. A l’instar de l’ancien article, le nouvel article prévoit que la rupture des relations commerciales établies engage la responsabilité de son auteur.

L’ancien texte disposait, qu’en cas de rupture brutale, la responsabilité de « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers » était engagée. Dorénavant, sont concernées « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». La référence très large aux services permet une conception étendue. Si la liste des treize pratiques restrictives de l’ancien article L. 442-6, I. a été réduite à seulement trois pratiques, il ne s’agit pas pour autant de rendre licites les dix autres. En effet, la volonté du législateur est justement d’utiliser des notions générales dans les trois pratiques encore prévues par le texte, pour englober les nombreuses clauses et pratiques anciennement énumérées, et ainsi simplifier le dispositif tout en garantissant la sécurité juridique.

L’ancien et le nouvel article se référent « aux usages du commerce » pour fixer la durée du préavis. Cela a conduit la jurisprudence à apprécier diverses modalités pour décider de la durée d’un préavis, tels que l’ancienneté des relations, le volume d’affaires réalisé, le secteur d’affaires concerné, l’état de dépendance économique du partenaire victime de la rupture, les dépenses non récupérables engagées par la victime de la rupture ou encore le temps nécessaire pour retrouver un partenaire (CA Paris, 13 septembre 2017, n° 14-23.934).

Principal changement : le plafonnement du préavis. La modification majeure est celle du deuxième alinéa de l’article, qui dispose que « En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ».

Le but est bien de réduire la durée des préavis. Les anciennes décisions jurisprudentielles en la matière imposaient parfois aux entreprises de rester en relation avec des partenaires pendant de longs préavis, alors même que leurs offres ne correspondaient plus aux conditions du marché ou que la relation était fortement dégradée. Le législateur a donc estimé que la durée de dix-huit mois était suffisante et assurait une sécurité juridique suffisante pour les parties.

Ainsi, il importe dorénavant peu de savoir la durée réelle de la relation établie entre les partenaires, puisque le préavis est plafonné à dix-huit mois. De plus, c’est sur cette même durée maximum que les juges se baseront en cas de litige pour fixer l’indemnité à octroyer à la partie victime de la rupture brutale. Ils tiendront compte du chiffre d’affaires qu’aurait réalisé cette dernière avec son partenaire commercial pendant ledit préavis s’il avait été respecté.

Auparavant, la durée moyenne de préavis fixée par les juges correspondait le plus souvent à un mois de préavis par année de relation. Cependant, il y avait une forte disparité entre les préavis accordés pour une même ancienneté, ce qui menait à une insécurité juridique. Par exemple, a été fixé un préavis de deux ans pour une relation commerciale de soixante-trois ans (CA Paris, 8 juin 2016, n°13-21.346) et de quarante et un ans (Cass. Com., 11 mai 2017 – n°16-13.464).

La durée de préavis : Une éternelle source de débats ? Ce délai est effectivement encore source de débats. Il est surprenant de constater que le législateur n’a pas pris autant de précaution pour les contrats civils. Ainsi l’article 1211 du code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit-il « Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ». La référence au caractère raisonnable du préavis a ici été jugé suffisante.

Le délai maximum de 18 mois exprime la volonté du législateur d’éviter les abus entre cocontractants commerciaux. En effet, si le but de l’ancienne règlementation était de tenir compte des particularités de chaque espèce pour que les partenaires puissent palier aux conséquences de la fin d’une relation commerciale, il semble que le délai du 18 mois soit jugé suffisant pour permettre d’atteindre cet objectif quelle que soit la durée de la relation commerciale passée.

Pour autant, certains affirment que ce délai maximum est source de contentieux quelle que soit sa durée, et d’autres lui préfèrent le délai de douze mois initialement prévus. La critique principale tient à la formulation adoptée pour fixer le délai : « la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ».

Il se peut aussi que les parties préfèrent renoncer à ce délai maximum sachant que le maintien d’une relation dont le terme est déjà fixé peut être périlleux. Il faudra dans ce cas insérer l’exclusion dans les stipulations contractuelles et aménager la fin du contrat.

Qu’en-est-il aussi lorsqu’aucun préavis n’a été prévu, ou lorsqu’un préavis d’une durée inférieure a été contractuellement fixé ? Une condamnation à un préavis d’une durée supérieure est-elle encore envisageable ? Ainsi, alors que la disposition avait pour but de limiter les contentieux, il semble au contraire qu’elle vienne d’en ouvrir de nouveaux. Il faudra alors s’intéresser aux prochaines décisions en la matière, puisque ces nouvelles dispositions s’appliquent pour tous les contrats ou avenants conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 25 avril 2019.

[1] « (…) II. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

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